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LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LES BALEINES

par: Joseph Arambulo-Science Spotlight

Le golfe du Saint-Laurent (GSL) est l’une des nombreuses étendues d’eau du Canada. C’est un estuaire, c’est-à-dire un écosystème où un fleuve rejoint l’océan, situé au large de la côte Est du Canada. C’est un écosystème important pour de nombreux organismes, mais en particulier pour les baleines ! Les baleines sont des créatures extraordinaires ! Certaines sont énormes, et pourtant elles mangent de minuscules choses, elles respirent, et pourtant elles vivent sous l’eau. Leurs ancêtres étaient des animaux terrestres, mais ils ont migré vers l’océan[1], et les baleines sont maintenant sur la planète Terre depuis environ trente millions d’années maintenant (leurs ancêtres depuis encore plus longtemps!)2.

Le saviez-vous?  Treize especes de baleine ont été repérées dans le GSL. La plupart de ces especes migrent, et une seule d'entre elles (le beluga) y vit toute l'année.

Le golfe du Saint-Laurent (GSL) est une étendue d’eau qui est entourée par le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi que Terre-Neuve-et-Labrador.

Les baleines, comme d’autres espèces, sont passées par beaucoup d’épreuves durant leur temps passé sur la Terre, et cela continue d’être le cas. Le changement climatique, par exemple, est l’un des problèmes les plus pressants auxquels les êtres vivants sont confrontés sur la Terre. D’après le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), une augmentation de 1,5°C de la température pourrait faire en sorte que 4 % des vertébrés, 6 % des insectes, et 8 % des plantes sur la terre risquent de perdre leur aire de répartition naturelle. Une augmentation de 2°C de la température pourrait faire doubler ou tripler ces valeurs, et mettre plusieurs écosystèmes en difficulté3. Vous êtes-vous déjà demandé comment le changement climatique affecte les baleines ? On a traditionnellement tendance à croire que les baleines sont capables de faire face aux effets du changement climatique en adaptant leurs comportements... mais est-ce encore le cas ? Voyons cela !

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UN BÉBÉ DANS LE VENTRE ?

Il s’avère, en fait, que les baleines ne sont pas à la fête. Une équipe de scientifiques, composée de Joanna Kershaw, Christian Ramp, Richard Sears, et d’autres, a observé que le succès de reproduction des baleines à bosse, aussi appelées rorquals à bosse, fréquentant le GSL a décliné. L’équipe a remarqué que, de 2004 à 2018, les rorquals à bosse n’ont pas donné naissance autant de fois que dans les années précédentes (d’où le déclin du succès de reproduction). En approfondissant ses recherches, l’équipe a découvert qu’il existe une relation entre ce déclin et les effets du changement climatique sur l’écosystème du golfe du Saint-Laurent.

Considérant à quel point il est compliqué d’étudier les rorquals à bosse dans l’océan, et étant donné que les écosystèmes (comme le GSL) connaissent des changements constants, on pourrait se demander comment les membres de l’équipe sont parvenu.e.s à cette conclusion. Ils/elles ont dû faire plusieurs choses : (1) suivre les rorquals à bosse et leur statut grâce à la photo-identification et à des biopsies de graisse, (2) quantifier les effets du changement climatique sur le GSL, et (3) mettre leur données en parallèle pour analyser les relations entre elles.

PHOTO-IDENTIFICATION ET BIOPSIE DE GRAISSE

Certain.e.s membres de l’équipe travaillaient également pour la Station de recherche des îles Mingan, ce qui a permis à l’équipe d’accéder à des archives de données sur les baleines. Ces données comprenaient des photos de baleines permettant de les identifier, accompagnées d’échantillons de graisse qui avaient été collectés chaque fois que cela avait été possible sur une période de quarante ans. La photo-identification consiste à identifier des animaux individuellement sur la base de photographies. Ces photos montrent des marques ou une pigmentation uniques sur un individu.  

Alors, comment s’y prend-on exactement pour collecter des données sur une baleine ? Typiquement, chaque année, les chercheur.euse.s de la Station de recherche des îles Mingan se rendent dans le GSL, dans des bateaux pneumatiques, en emportant avec eux/elles des appareils photo et des arbalètes avec des flèches à bout creux qui ne pénètrent que dans la couche superficielle de la peau de la baleine. Ce processus est ce que l’on appelle une biopsie de graisse. Les échantillons de peau et de graisse sont ensuite analysés ultérieurement.

À partir des biopsies de graisse effectuées et grâce à la photo-identification, l’équipe a été capable de voir quelles étaient les baleines à bosse femelles, et s’il s’agissait d’un baleineau, d’une jeune baleine ou d’une baleine adulte. De plus, si la baleine était une femelle adulte, l’équipe était en mesure de dire si elle était enceinte (en recherchant des hormones spécifiques à partir des échantillons prélevés lors de la biopsie de graisse), et si elle avait bien donné naissance (si elle était accompagnée par un baleineau alors qu’elle ne l’était pas l’année précédente).

EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LE GSL

L’équipe de scientifiques a utilisé des informations et des données provenant de travaux de recherche passés ainsi que de Pêches et Océans Canada pour découvrir comment le changement climatique a eu des répercussions sur le GSL. L’équipe a constaté qu’à cause du changement climatique, le GSL a connu des changements en ce qui a trait à la température de l’eau, à la période de l’année durant laquelle les glaces se forment, ainsi qu’à la chimie de son eau. Pour rendre compte des effets de ces changements sur l’écosystème du GSL, l’équipe a réuni des données de population sur des plantes (phytoplancton), sur des animaux microscopiques (zooplancton), et sur le poisson fourrage (hareng, maquereau, capelan). D’après les observations effectuées, ces organismes sont ceux auxquels les rorquals à bosse s’attaquent dans le GSL ; leur rareté (si les conditions sont mauvaises) ou leur abondance (si les conditions sont bonnes) éclairent la manière dont le changement climatique affecte l’écosystème du GSL.

QUE DISENT LES DONNÉES ?

Tel que mentionné plus haut, les rorquals à bosse présents dans le GSL ne sont pas à la fête en ce moment. L’équipe a, en particulier, découvert que, bien qu’on ait observé la présence de baleines à bosse enceintes dans le GSL entre 2004 et 2018, le nombre de baleineaux ne correspondait pas au nombre de baleines précédemment enceintes. Ce qui signifie que certaines des femelles enceintes n’avaient pas réussi à donner naissance.

Quand on a rapproché ces constatations des données portant sur la population de proies des rorquals à bosse, l’équipe a découvert que la rareté de la population de proies une année auparavant dans le GSL précède le déclin de la reproduction des rorquals à bosse une année plus tard. L’équipe a expliqué que cela pourrait être dû au fait que réussir à donner naissance et nourrir un baleineau requiert une énergie colossale, et que si les baleines ne peuvent pas obtenir l’énergie dont elles ont besoin, elles ne peuvent se reproduire, ou bien il se peut qu’elles n’essaient pas de se reproduire du tout jusqu’à ce que les conditions reviennent à la normale.

Action pour le climat :

ACHETER MOINS D’APPAREILS TECHNOLOGIQUES

À un moment donné, il se peut que vous vous soyez demandé : « Comment est-ce que je peux aider les baleines ? » La question mise en lumière dans ce guide « Pleins feux sur la science » peut sembler être une préoccupation locale, déconnectée de tout ce qu’il y a d’autre dans l’océan, mais ce n’est pas le cas ! Le changement climatique est un problème mondial. Nous y avons tous et toutes contribué, et nous pouvons tous et toutes aider à l’atténuer. Tout ce que vous ferez, que ce soit un petit geste ou quelque chose de facile à faire, aidera à ralentir le changement climatique et ses répercussions. Et maintenant, plus que jamais, c’est le moment d’agir. Voici une suggestion que vous pourriez prendre en considération pour aider à diminuer notre impact sur la Terre !

Une action aussi simple que de limiter vos achats de nouveaux appareils technologiques peut aider à ralentir le changement climatique. Beaucoup d’appareils technologiques ont une durée de vie plus longue que ce que nous pensons. Au lieu d’acheter de nouveaux appareils chaque année ou tous les deux ans, envisagez la possibilité d’utiliser les vôtres jusqu’à la fin de leur durée de vie. Cela peut aider à atténuer le changement climatique car nombre de composants sont en plastique. La production de plastique finit par émettre une quantité non négligeable de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, empirant ainsi le changement climatique. Le plastique lui-même est mauvais pour l’environnement ! Une fois qu’une chose atteint l’océan, si elle est en plastique, elle finira par se fragmenter en morceaux plus petits qui demeureront dans l’océan pendant environ un millier d’années. De plus, chose en plastique peut flotter ou couler, et aussi être avalée par des animaux, comme les baleines. En outre, se procurer les matériaux et fabriquer les appareils technologiques peut perturber les écosystèmes ainsi que les organismes qui y sont présents.

 Recontrez chercheur locale:

Richards Sears est l’un des scientifiques qui ont contribué à établir comment le changement climatique a des répercussions sur les rorquals à bosse. Il est également président et fondateur de la Station de recherche des îles Mingan, un organisme à but non lucratif, dédié à l’observation des mammifères marins et à l’acquisition de connaissances sur ces mammifères. Il est implanté sur le côté québécois du golfe du Saint-Laurent. Richard a répondu à quelques-unes de nos questions ; nous partageons ses réponses ci-après :

Q: Qu’est-ce qui vous a décidé à étudier les rorquals ? Y a-t-il une raison particulière, ou un moment précis qui vous vient à l’esprit, qui vous a fait penser « Je veux étudier les baleines ».

A: C’était quand j’ai vu un rorqual bleu pour la première fois. J’ai toujours été fasciné par la mer et par ce qu’il y a sous sa surface. J’avais vingt-quatre ans à l’époque, et je travaillais dans une station locale au Québec pour observer le saumon. Le directeur de la station m’a permis de prendre un bateau pneumatique et d’aller au large, sur l’océan, pour observer les baleines car c’était courant d’en voir près de la station durant l’été. Et il est apparu, mon premier rorqual bleu !

Q: Que préférez-vous dans le fait d’être scientifique ?

 

A: Ce que je préfère, c’est découvrir quelque chose de nouveau ou que l’on ne savait à propos des espèces que nous étudions ; c’est observer comment elles utilisent leur habitat, comment elles se dispersent, leur distribution et leurs interactions dans le GSL et l’Atlantique Nord. J’aime aussi tout simplement la sensation d’être sur l’eau, de chercher des baleines, de reconnaître des individus que nous avons photo-identifiés, et d’observer leur comportement.

Q: Avez-vous un conseil pour les enfants et les jeunes qui rêvent de devenir scientifiques ?

A: En premier, je leur dirais de rester curieux.euse. De s’émerveiller devant tous les aspects de la vie sur cette planète. De chérir ce globe sur lequel la vie a vu le jour mais qui est maintenant de plus en plus menacé. Ensuite, d’étudier fort et de s’amuser. Si on n’aime pas ce travail, alors on ne fera pas du bon travail. Et, pour finir, d’entrer au collège avec l’esprit ouvert. D’être ouvert.e, d’essayer de nouvelles choses quand ils/elles observent la faune et la flore, d’aller sur le terrain chaque fois que c’est possible, et d’entreprendre un baccalauréat s’ils/elles pensent que cela les aidera à atteindre leur objectif.

Ce guide « Pleins feux sur la science » a été écrit sur la base du travail de Kershaw, Joanna L., Christian A. Ramp, Richard Sears, Stéphane Plourde, Pablo Brosset, Patrick J. Miller, et Ailsa J. Hall. « Declining Reproductive Success in the Gulf of St. Lawrence’s Humpback Whales (Megaptera novaeangliae) Reflects Ecosystem Shifts on Their Feeding Grounds. » (Traduction libre : Le déclin du succès de reproduction parmi les rorquals à bosse du golfe du Saint-Laurent (Megaptera novaeangliae) reflète les effets des changements que connaît l’écosystème sur leurs zones d’alimentation) Global Change Biology 27, no. 5 (2020) : 1027–41. https://doi.org/10.1111/gcb.15466.

1 Richard Sears, entrevue réalisée par Greg Stone, « The Sea Has Many Voices », (Traduction libre : La mer nous parle de plusieurs manières) Saison 3 : Épisode 16, YouTube, 16 septembre 2020.

2 Les ancêtres des baleines ou l’évolution, Baleines en direct : UNE RÉALISATION DU GREMM, accès le 5 juillet 2022, https://baleinesendirect.org/decouvrir/la-vie-des-baleines/morphologie/les-ancetres-des-baleines/

 3 « Chapter 3 — Global Warming of 1.5 ºc - Intergovernmental Panel on ... » (Traduction libre : Chapitre 3 – Réchauffement planétaire de 1,5 ºc – Panel intergouvernemental sur... ) Le panel intergouvernemental sur le changement climatique. https://www.ipcc.ch/, 8 octobre 2018. https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/chapter-3/

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