Baleine à bosse échouée vivante aux Îles de la Madeleine. Photo de Daniel Cyr.
Les bonnes intentions ne suffisent pas: Renflouer les mysticètes échoués ne les sauvera pas
L'article suivant est un article d'opinion de la part de Dr. Christian Ramp, Coordinateur de Recherche du MICS.
La saison 2018 n’a pas encore commence que déjà deux morts ont été signalées chez les baleines à bosse dans l’Atlantique Canadien. La deuxième s’échoua vivante dimanche dernier sur une plage des Îles de la Madeleine et périt quelques heures plus tard. Cela pourrait être un un jeune d’un an, né en 2017 qui n’a pas survécu au processus de sevrage de sa mère. Une baleine à bosse reste typiquement avec sa mère pendant 10 à 11 mois avant d’être sevré vers la fin de l’automne, voire le début de l’hiver. Bien que les baleineaux commencent à se nourrir par eux-mêmes alors qu’ils sont encore avec leurs mères, après le sevrage, ils doivent survivre seuls. C’est le stade le plus dangereux dans la vie d’une baleine à bosse, qui présente la mortalité la plus élevée. Comme pour tous les mammifères, les baleines à bosse ont une mortalité en forme de U, voulant dire que les décès surviennent principalement à un très jeune âge et un âge très élevé, alors que dans la fleur de l’âge, la mortalité est proche de zéro. Nous ne devons pas oublier que beaucoup de baleines meurent également de causes naturelles (par ex. vieillesse, maladie, parasites,…) et nous ne pouvons pas les aider. Ceci fait aussi partie de leur vie.
En ce qui concerne les échouages d’animaux vivants, il y a eu certaines vidéos circulant sur les medias sociaux récemment qui montrent des personnes réussissant à renflouer des mysticètes (baleines à fanons) en tirant et poussant l’animal dans l’eau. Ces cas-là ont été acclamés en tant que symboles de notre humanité et c’est en effet admirable que certaines personnes montrent tant d’empathie et de préoccupation envers d’autres espèces. Malheureusement, il n’y a aucune preuve qu’un mysticète ait survécu après avoir été renfloué par des humains. Aux fins du présent article, nous ne parlerons pas des échouages d’odontocètes (cétacés à dents) tels que les dauphins car ce sont des cas complètement différents, notamment de par leur taille et leur poids. En effet, les mysticètes atteignent des tailles et des poids énormes grâce aux contraintes physiques réduites qu’offre un environnement aquatique, que nuls os pourraient supporter sur terre. Lorsqu’elles s’échouent, leur propre poids écrase leurs organes intérieurs. La plupart des animaux renfloués par les humains ont été retrouvés morts quelques heures ou quelques jours plus tard, flottant au large ou de nouveau échoués. Une autre raison pour laquelle les animaux renfloués ne survivent pas est qu’il est très rare qu’une baleine en bonne santé ne s’échoue. Cela arrive en général à des animaux qui sont en mauvaise santé ou victimes de blessures. La plupart des baleines échouées sont extrêmement émaciées, ce qui peut être causé par la vieillesse, des parasites, des maladies, ou bien une variété de facteurs humains. C’est une triste vérité qu’une fois qu’une baleine s’échoue, ses chances de survie sont presque nulles.
Bien que nous nous focalisions ici sur les raisons biologiques et écologiques, il est également question du bien-être de l’animal. Tirer et pousser un animal dans l’eau pour le renflouer peut causer plus de stress et de mal à l’animal. Il faut qu’il y ait une discussion à propos d’euthanasie pour les animaux fatalement blessés où pour les cas irrécupérables.
Ensuite, il est question de sécurité humaine. Une baleine en détresse qui se débat, ou même une carcasse ballotée par les vagues peut représenter un risque de blessure, voire de mort pour les humains. Le MICS conseille de ne pas s’approcher seuls d’une baleine échouée, même si la vue est déchirante et bouleversante. Veuillez contacter les réseaux locaux d’urgence (Québec 1-877-722-5346, Maritimes 1-866-567-6277, Terre-Neuve-Labrador 1-709-895-3003 ou 1-888-895-3003, partout au Canada: MPO 1-800-465-4336), ou un agent des pêches (les autorités locales savent quelles stations appeler). Il faut noter qu’il y a également des restrictions légales qui interdisent au public de s’approcher de certaines espèces.
Des vétérinaires effectueront une nécropsie sur la baleine à bosse décédée aux Îles de la Madeleine. Les données qui résultent de ces nécropsies sont importantes car elles nous permettent notamment de mesurer l’impact humain sur ces espèces. Les empêtrements dans du matériel de pêche, les collisions avec les navires, les sacs en plastique qui obstruent l’œsophage ou qui remplissent les estomacs…, la liste de causes de mortalité d’origine humaine est longue. C’est vers cela que notre compassion devrait nous mener : à lutter contre les causes et non les conséquences.
Nous avons une responsabilité non seulement envers les baleines individuelles, mais envers leur écosystème au complet. Bien que venir en aide à une baleine en détresse paraisse plus satisfaisant ou une réponse évidente, afin de réellement aider ces animaux, nous devons changer la façon dont nous vivons et nous consommons. Utiliser moins de plastique, moins de pétrole, acheter local, manger des produits de la mer certifiés durables, … Ce sont ces petits changements qui, si tout le monde s’y met, feront la différence.
ADDENDUM: Les résultats de la nécropsie ont révélé que la baleine à bosse échouée aux Îles de la Madeleine était bien une jeune femelle qui n'a pas survécu au processus de sevrage.