2015-2016: Baleines bleues
Par R. Sears.
Bilan Saison 2015 :
- Démarrage frisquet/frileux et folie de rorquals communs le long de la côte nord
Le début de la 37ème saison a été marqué par un froid prolongé, couplé à un épais brouillard, et de longues périodes de grands vents. A la fin juillet, les éléments se sont finalement rappelé qu’il fallait laisser la place à des conditions plus estivales. Notre équipe a ainsi pu retrouver les rassemblements de petits rorquals et rorquals communs le long de la côte Nord jusqu’à Rivière-au-Tonnerre et plus au large vers la pointe ouest de l’île d’Anticosti, illustrant la productivité intense de l’écosystème marin. Il permet l’alimentation de grands cétacés en masse ; chaque année environ 125 rorquals communs et 80 rorquals à bosse sont identifiés dans cette zone d’étude, et sans doute plus de 100 petits rorquals évoluent tout le long du Détroit Jacques Cartier. Lors d’une seule sortie en mer, plus de 100 petits rorquals ont même pu être observés.
Ce type de saison rappelle celles que l’équipe a pu vivre durant les années 80, même si les observations de rorquals bleus aujourd’hui restent rares le long de cette portion de la côte Nord.
- Grand festin pour les bleues sur les côtes gaspésiennes
La diminution globale d’observations de bleues depuis 4 ans a connu une amélioration en 2015, conduisant à l’identification de 72 animaux.
Durant l’été 2014, aucun rorqual bleu n’avait été observé lors de nos expéditions de terrain en Gaspésie, ni lors de nos sorties à bord du Sedna IV vers le détroit de Cabot (cf précédente Newsletter de 2014).
En 2015, la plupart des observations se trouvait entre l’Anse-à-Valleau et Cloridorme, 30 nm (milles nautiques) à l’Ouest de Cap Gaspé. Nous y avons donc consacré nos efforts, plutôt que dans la baie de Gaspé au large de Cap Gaspé, comme les années précédentes.
Ian McQuin de la DFO (Département des Pêches et Océans du Canada), qui menait un suivi des euphausidés (crustacés) le long de la côte Nord de Gaspé, nous avait signalé plusieurs observations de bleues au large de l’Anse-à-Valleau début août. Son étude a mis en évidence de fortes concentrations de krill sur la zone où les rorquals bleus se bâfraient. Cela concorde avec la détection par nos sondeurs, de larges bancs de krill (40 m d’épaisseur) dans la colonne d’eau.
Parmi la vingtaine d’animaux présent au même moment à proximité immédiate de l’aire de concentration du krill, plusieurs baleines bleues régulières, connues depuis 30 ans ont été identifiées notamment des femelles : Alacran (B122), Pleiades (B197), Crinkle (B082), Mantis (B166), Symphonie (B244) et des mâles : Jagdor (B009), Lucanus (B273).
En particulier, Quicksilver (B151) une femelle photo-identifiée au large de l’île de Cap Breton par la NOAA (National Oceanic & Atmospheric Administration) lors de suivis aériens fin juillet et par notre équipe vers la mi-août, a rejoint ce grand rassemblement de rorquals bleus le long de Gaspé.
Une balise satellite (« tag ») a été posée au large de Cloridorme fin août sur B168, une femelle. Ce tag nous a donné plusieurs positions régulières de l’individu dans cette zone et plus loin vers le canal Laurentien pendant 18 jours. L’absence de déplacements significatifs hors de la zone de pose du tag suggère que l’animal trouvait localement de la nourriture en abondance.
L’observation la plus intéressante et surprenante a été celle d’Invasor (B105), vu plus récemment aux Açores en 2014, 30 ans après sa première et unique observation dans le St-Laurent en 1984. Au cours de nos 5 semaines d’étude, Invasor a été régulièrement vu et a même été l’une des dernières bleues observée fin septembre, au large de l’Anse à Valleau. Cet individu (nous devrions connaître bientôt son genre, mâle ou femelle, grâce à la biopsie réalisée) était alors de retour dans le St-Laurent après 31 ans sans observation dans cette zone (le MICS centralise les photo-identifications de rorquals bleus pour tout l’Atlantique nord).
La comparaison des catalogues NWA (Atlantique Nord-ouest) et NEA (Atlantique nord-est) n’est pas encore totalement réalisée, mais ce « matching » (appariement de photos du même individu) constitue la première preuve d’une traversée de l’Atlantique par un rorqual bleu.
Après 30 ans sans nouvelles, on serait en droit de se demander qui piste qui, car Invasor semble se mettre à suivre nos équipes sur leurs lieux de recherches.
Les baleines ne cesseront jamais de nous surprendre !
Açores 2016
Arrivés le 23 Avril avec une météo favorable, la première semaine s’est bien déroulée avec l’observation de quelques bleues. Les conditions météorologiques étaient encore meilleures la 2e semaine, mais le nombre de rorquals bleus n’était pas à la hauteur des années précédentes. La 3ème semaine a été marquée par de mauvaises conditions météos, et les quelques sorties effectuées n’ont conduit à aucune observation de bleues. Ces variations reflètent l’imprédictibilité de la Nature, que ce soit au sein d’une saison, ou entre les années.
Nous avons tout de même pu photo-identifier 11 rorquals bleus, dont 3 déjà observés aux Açores en 2015. Le taux de ré-observations des individus du catalogue des Açores se situe autour de 10%.
Cette année, les rorquals bleus ont probablement voyagé plus au large, trop loin pour les atteindre. Une hypothèse repose sur les vents plus réguliers provenant du Nord, qui garderaient les proies dans des zones plus au sud et dans des eaux plus profondes.
Une balise (« tag ») satellite a été posée lors de notre mission sur un rorqual bleu aperçu à 4-5 nm de la pointe Sud de Pico. L’animal sondait fréquemment et ressortait sa caudale assez haut hors de l’eau, même après la pose du tag, qui nécessite un rapprochement étroit. L’intensité du moment était d’autant plus prononcée que la nageoire caudale de l’animal, mesurant jusqu’à 6m d’envergure, surplombait le bateau brièvement au moment de plonger.
L’animal a pris une direction à laquelle on ne s’attendait pas : elle est partie à plusieurs dizaines de km vers le sud puis l’est (au large de Sao Miguel), avant de revenir le jour suivant dans les eaux du Sud de Pico, mais toujours assez au large. Pendant ce temps, un autre individu, tagué au même moment par l’équipe de l’Université de Faial, voyageait en direction du Nord.
Le nombre de rorquals bleus présents en avril, mai et juin 2016 était sensiblement les mêmes. La dernière observation aux Açores cette année ayant eu lieu début juillet.
La migration des baleines bleues du Nord vers les Açores a été de plus courte durée, de fin Avril jusqu’au début de Juillet. Cinq des 31 individus photos identifiés avaient déjà été observés au large des Açores au printemps.
Depuis, le matching se poursuit pour le catalogue des Açores et de nouvelles photos d’identifications envoyées par nos collaborateurs de l’université de Spitsbergen nous permette de le compléter. Ce que l’on apprend des rorquals bleus du NEA ne cesse de varier chaque semaine, d’autres nouvelles sont à venir.
Richard SEARS