De la patience et de la persistance : Étude sur la dispersion du rorqual bleu au travers d’un bassin océanique

Comme vous le savez, nous avons commencé à recueillir des données de photo-identification (ID) sur le rorqual bleu dans le Golfe du Saint-Laurent en 1979, et avons depuis contribué annuellement au catalogue de l'Atlantique Nord-Ouest (ANO), qui comporte maintenant 475 individus. L'effort de recherche s'est effectué pour la plupart de manière plutôt constante, particulièrement le long de la Côte Nord du Saint -Laurent. Depuis la fin des années 1990, nous avons augmenté notre effort de recherche dans l'Estuaire et le long de la Côte Sud, entre Matane et Cap Gaspé. Des collègues ont contribué au catalogue avec des images d'identification provenant de ces mêmes régions ainsi que des eaux des Provinces Maritimes Canadiennes et de la Nouvelle Angleterre.


Des données de photo-ID de l'Atlantique Nord-Est (ANE) furent recueillies pour la première fois au milieu des années 1990 par le MICS en collaboration avec Gisli Vikingson, du Département Islandais des Pêches, au large de l'Islande de l'Ouest et des Açores. Cependant, le catalogue de l'ANE contient maintenant des images de photo-ID provenant du Nord-Ouest de l'Afrique, de l'Espagne, des Îles Canaries, de l'Irlande, de Jan Mayen, de l'Est du Groenland, et du Spitsbergen. Malgré le fait que la plupart des études de terrain ont été concentrées aux Açores et en Islande, cet effort de recherche a été plus sporadique et d'une valeur temporelle inférieure à celui de l'ANO. Pourtant, le catalogue d'individus de rorqual bleu identifiés ne cesse de croître et le nombre rattrape vite celui du catalogue ANO. Il est intéressant de noter que nous avons observé beaucoup plus de baleineaux outre-Atlantique du côté de l'Islande et des Açores que dans le St Laurent.


Malgré un catalogue de l'ANE dépassant bientôt les 400 individus, nous ne trouvons que très peu de correspondances à longue distance. Par contre, nous avons trouvé des liens entre l'Afrique N-O et l'Islande, entre les Açores et l'Islande, et entre les Açores et le Spitsbergen ; ce qui reflète l'étendue de la distribution et dispersion du rorqual bleu. Sans ces sites d'observation tout au long de l'Atlantique Nord, il serait difficile de comprendre la taille de la population ainsi que sa distribution.

L'effort de recherche dans les Açores a été concentré au large des îles de Pico et Faial, avec des contributions du côté de Sao Miguel, ainsi que des photo-IDs issues de la collaboration avec les nombreuses compagnies de « Whale-Watching » (observation touristique des cétacés) opérant dans la zone. Notre collaborateur principal est Espaço Talassa, basé à Lajes de Pico. Nous remercions donc vivement Serge, Pedro, Rui et João, ainsi que tous ceux qui ont contribué par leurs efforts en mer, année après année.
Nous avons également reçu des contributions significatives et régulières de la part de Lisa Steiner (DiveAzores), et de l'Université des Açores-DOP.

 

Notre dernière nouvelle n'est pas la moindre car, après plus de 25 années de collecte de données de photo-ID dans l'Atlantique Nord, et 35 saisons de ce côté-ci, nous avons finalement trouvé une correspondance longue distance entre les Açores et le Saint-Laurent ! L'individu B105 avait été observé par le MICS une seule fois, en septembre 1984, à peine au large de la Côte Nord du Golfe du Saint-Laurent, à l'ouest de l'archipel des îles Mingan, juste le temps de l'observer et prendre des photos d'ID de son côté droit. Ce rorqual bleu est apparu au large de l'île de Pico aux Açores le 17 et 18 juin 2014, soit 30 ans plus tard. Nous disposons donc maintenant également d'une série de photos de son côté gauche, ainsi que de sa nageoire caudale. Où était-il donc passé toutes ces années ? Ceci nous démontre à quel point notre accès aux rorquals bleus, ainsi que nos connaissances sur leur distribution et dispersion, sont limités à travers ce bassin océanique.

 

 

De telles correspondances transatlantiques sont donc jusqu'à présent très rares. Cependant, cela nous pousse à nous demander si les rorquals bleus de part et d'autre de l'Atlantique appartiennent en fait à deux populations distinctes. Ces deux populations sont-elles largement distinctes par rapport à leurs axes migratoires entre les zones d'alimentation et de reproduction, et comportant de rares individus marginaux qui voyagent d'une partie à l'autre de l'Atlantique Nord ? Les résultats d'analyses génétiques suggèrent qu'il n'existe pas de grosse divergence entre les populations ANE et ANO. Se pourrait-il que les Bleus de part et d'autre de l'Atlantique partagent une zone de reproduction, entraînant ainsi un mélange génétique ? Il est intéressant de noter que les deux rorquals bleus sur lesquels avaient été déposées deux balises satellites en octobre/novembre 2013 semblaient quitter les eaux du plateau canadien Est. Je fais référence à la nouvelle sur la pose de balises satellites sur les rorquals bleus publiée l'an passé.


Le printemps 2014 a été exceptionnel au point de vue du nombre de rorquals bleus observés le long de la côte sud de l'île de Pico et Faial, pour lesquels nous ne disposons pas de chiffres exacts à l'heure actuelle, bien que plus de 60 bleus aient été vus. Les meilleurs années les plus riches en observations de bleus furent 2006 avec 39 rorquals bleus identifiés et 2010 avec 33 rorquals bleus identifiés. Il y eu pourtant bien des années où le nombre de rorquals bleus par saison se limitait à 5 ou 10 individus observés.
Dans le Saint-Laurent nous avons bien entendu exercé un effort de recherche constant depuis 1979, et recueilli 475 ID de rorquals bleus, ainsi qu'un bon nombre de données supplémentaires pour chaque individu.

La même journée où fût observé notre fameux B105 auprès des îles Mingan, d'autres bleus bien connus de nos chercheurs furent également vus dans la même zone, dont Backbar, Alexander, Laser, Scythe et Spindle. Le seul de ces individus que nous observons encore à ce jour est B017, « Scythe » (voulant dire « faux », tel l'outil), un vieux mâle qui a encore été observé en 2014. Les autres n'ont pas été revus depuis le début des années 1990, mais, qui sait, peut-être réapparaîtront-ils des dizaines d'années plus tard dans une autre partie de l'Atlantique, comme B105. De telles observations d'animaux aussi âgés, à longue distance et à tant d'années d'écart, démontrent l'importance des études sur le long terme. Sans ce type d'effort de recherche, nous ne disposerions que de vagues impressions sur leurs vies, qui sont déjà bien assez difficiles à déceler, même avec le type d'études que nous réalisons ici dans le Saint-Laurent.

B105 au large de Pico, Açores, Espaço Talassa, June, 17-18 2014

B105 septembre 1984