Projet Offshore

St John's, Vieux Amis, Livraison Manquée et Transects

Équipe de recherche: Catherine Berchok, Valentine Ribadeau-Dumas, David Gaspard, Marion Florie-George, et Richard Sears

Une fois les derniers préparatifs finis à Montréal, le rapide voyage matinal vers l'aéroport de Dorval et le décollage, nous étions à St John's, Terre-Neuve, pour rejoindre notre navire et récupérer le reste de l'équipement nécessaire pour notre mission sur les bords des Grands-Bancs. Wayne Ledwell nous a agréablement reçu à l'aéroport de St John's et nous a conduit chez lui à Placentia Bay par ce jour dégagé, calme et ensoleillé, ce qui est plutôt rare sur le littoral de Terre-Neuve.

Ensuite, nous avons découvert notre embarquation de travail - Tripolina - un chalutier à coque noire légèrement marquée par l'usure, basé à Fermeuse, environ 50 miles au sud de St John's en suivant Avalon Peninsula. Elle n'était pas ce que l'on appelle "prète pour la recherche" mais présentait plutôt le résultat de maintes années de pêche intensive et aurait probablement besoin d'un bon ravalement de façade. Nous avons découvert et arrangé nos quartiers plutôt restreints et avons déballé notre équipement et vêtements en utilisant tous les coins et recoins pour ranger ce qui débordait de nos sacs.
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L'étape suivante était de localiser le pneumatique à coque rigide que nous prêtait Jack Lawson de MPO. Il se trouvait tout près dans un enclos de MPO et fût rapidement couplé le long de Tripolina. Ensuite nous avons procédé à la "collecte" de l'équipement accoustique de Catherine Berchock et nous avons rencontré bien plus de difficultés que ce à quoi nous nous attendions. L'équipement accoustique, comprenant des balises accoutiques et tout l'électronique nécessaire, avait quitté la côte ouest et passé le service des douanes à la mi-juin puis avait été livré au MPO de St John's par Purolator. En fin de compte, un paquet était arrivé mais pas le second et ce dernier contenait les éléments principaux tels des balises accoustiques et de l'électronique, mais surtout le matériel d'enregistrement.

Alors que Purolator insistait pour dire le contraire, le département de réception de MPO n'avait reçu qu'un paquet, ce qui a été vérifié en visionnant l'enregistrement de vidéo-surveillance avec Catherine. Pour une fois, j'appréciais le système de vidéo-surveillance. Nous avons attendu encore deux journées et Purolator dû admettre que personne ne savait où se trouvait le second paquet. Ceci aurait pour conséquence de limiter nos efforts de recherche et d'handicaper notre veille de façon significative. Note: en date du 7 décembre, après avoir trouvé un seul paquet, Purolator abandonne et admet avoir perdu l'autre paquet. Nous remercions Rose de Purolator, qui a été d'une grande aide et a consenti qu'il s'agitssait du plus grand cafouillage qu'elle ait connu durant ses années de gestion.

Pendant notre attente concernant ce point, nous avons été capable d'explorer la dynamique façade portuaire de St John's avec sa myriade de restaurants, de magasins et de scènes musicales. En outre, il m'était possible de visiter St John's de façon très agréable en compagnie de John Gibson et son épouse Judy. John était le directeur de la Station de recherche de Matamek qui jusqu'au début des années 80 dépendait du Woods Hole Oceanographic Institution, localisé au Québec, sur la Côte-Nord proche de Sept-Îles. John m'avait pris comme assistant l'été 1976 et ainsi je travaillais sur les saumons. John m'a encouragé à poursuivre mon intérêt pour les mammifères marins et m'accompagnait même, lorsque nombre de baleines s'aventuraient dans la Baie de Moisie, jusqu'à ce qu'il sente que les cétacés nous éloignaient un peu trop de notre travail sur les saumons et demandait, de la manière la plus polie, si nous pouvions en revenir à l'étude des saumons. C'est ce que nous avions tout de suite fait. Pour autant que je sache, les baleines et le Québec avaient d'ores et déjà une bonne prise sur moi et m'ont poussé à revenir, comme vous le savez tous.

De retour sur le quai de St John's, une autre surprise me saluait déjà, lors Geoff Green - un membre du conseil d'administration du MICS - est apparu en taxi et c'est joint à nous à bord de Tripolina. Il était à St John's pour assister à un mariage et avait vu dans le journal du matin même le petit article sur notre expédition et décrivant Tripolina. Nous avons traversé le port pour aller manger au centre ville de St John's en parlant de nos aventures maritimes partagées et à venir pour les prochaines années.

Alors que nous avions abandonné nos démarches auprès de Purolator, l'équipage de Tripolina découvrait quelques problèmes électriques à bord du navire. Il a fallu un jour et demi de travail sur le radar et d'autres bricoles électriques.

Finalement, c'est tard le samedi 17 juillet que nous avons quitté St John's, dans le noir, heureux d'être enfin en route. Le matin suivant nous étions dans le brouillard en nous dirigeant vers la bordure sud des Grands Bancs dans des variantes de visibilité. Tout en observant des macareux, des guillemots et des puffins, nous avancions vers le tout premier des transects dédicacés à l'observation de baleines franches et de rorquals bleus, et suivant le bord des Grands Bancs. Tout en regardant défiler cette mer grisâtre, je m'efforçais de me rappeler des descriptions de ces eaux, riches et émouvantes que Farley Mowat exprimait dans pas mal de ses livres. Quelques membres de l'équipe avaient recouvert un teint verdâtre et préféraient rester dans leur quartier avec un minimum de nourriture et s'aventuraient éventuellement sur le pont pour prendre un bol d'air marin.

Dimanche, nous sommes arrivés au commencement de nos transects en dent de scie ou zigzag. Cependant, l'interminable manteau de brouillard, n'avait pas diminué et était toujours bien accroché aux eaux alentours. Nous avons commencé notre premier transect avec une visibilité oscillant de 50 à 200 mètres et espérions que le soleil allait bien finir par brûler tout ce brouillard. C'est à midi que le brouillard a décidé de se lever un peu et il nous était possible de voir à un 1 km. Telle ne fût pas notre joie lorsqu'un premier souffle se fit voir, ponctué par un cri excité de Catherine. Le souffle était haut et large, il s'agissait définitivement d'un grand rorqual, et trop gros pour être d'un rorqual à bosse. Pouvions-nous oser penser que c'était une bleue? En l'espace de quelques minutes, nous avons vu 3-4 autres grands souffles assez proches et au second souffle du premier animal observé, il était possible de confirmer que nous étions en présence d"un rorqual bleu voire plus. Cela n'aurait pas pu être mieux, le brouillard se levant juste assez pour nous révéler ces bleues durant notre premier jour de transect sur le bord des Grands-Bancs. Durant la journée nous avons aperçu quelques petits groupes de dauphins communs qui pour la plupart nous accompagnaient pour un moment à l'étrave. Avant que le brouillard ne se referme plus tard dans la soirée, nous avons vu un cachalot mâle pas trop loin d'où nous avions vu les bleues. Nous avons été capable de photo-identifier 3 des 4 rorquals bleus. Le plus petit de ces rorquals a fait deux passages proche de Tripolina, sortant juste à côté de l'étrave en nous laissant avoir une superbe vue sur cette 'luminescence' bleue visible en eau translucide

Le sentiment d'exication et d'accomplissement du premier jour de transect à cédé sa place à quelques jours limités par le brouillard, qui contenait nos observations dans une étroite bande grise. La faible vivibilité nous permettait seulement d'augmenter notre comptabilité de grands puffins et d'océanites culblanc, et des petits groupes de dauphins communs qui chargeaient régulièrement pour nager dans la vague d'étrave. Le vent restait du sud-ouest de 10 à 20 noeuds, la journée était chaude, une houle de 2 mètres venait du sud et nos yeux fatiguaient à force de tenter d'apercevoir des signes de baleines à la limite de ce brouillard humide.
De telles journées n'offraient que de brèves ouvertures dans le brouillard, quelques fois les seules choses que nous voyions étaient des spots sur le radar et bien sûr les puffins passant proche, glissant sans effort au dessus des vagues. La plupart du temps, pour le premier quart de veille (06:00), nous étions salués par le bourdonnement du moteur nous poussant gentiment dans une grisaille épaisse. Nous avons passé de longues journées à compter les oiseaux, filmer les dauphins et parler des prochains repas, à imaginer des apparitions de baleines et à rouspéter après le brouillard transect après transect.

Le 23 juillet un vent de 20 noeuds venant du sud-ouest a commencé à prendre puis a diminué et la visibilité nous permettait de voir à environ 2 miles et parfois plus, et il y avait un ciel bleu. Le temps était plus sec à mesure que le temps avançait et avec une meilleure visibilité nous avons observé 2 gros cachalots en début d'après-midi, par mer calme aux environs de Jackman Canyon.

Plus tard dans l'après-midi, nous avons observé un autre cachalot et ce qui pourrait être une paire de rorquals boréals ou communs qui étaient un peu trop loin pour être certains, mais des communs seraient plus probables. Et encore deux autres souffles pas trop éloignés qui semblaient êtres des rorquals communs

Une courte vidéo est disponible sur notre page Facebook en suivant le lien en haut de page.

Nous avons continué nos transects autour de la pointe sud est des Grands Bancs faisant des aller-retours entre les eaux peu profondes des bancs et les eaux profondes des canyons. Au dessus ou en dessous de ces bordures nous regardions, cherchions et scrutions, parfois la visibilité était limitée à un kilomètre ou moins et laissait apercevoir les bribes de ciel: ces ouvertures libéraient nos yeux qui se rendaient alors jusqu'à l'horizon. Puis de nouveau du gris par vent calme, une baleine par-ci, une par-là,  toujours une myriade de dauphins communs et quantité d'oiseaux que Hitchcock aurait été fier d'inclure dans son film. Par là aussi, loin des côtes, il y a de la vie; plus dans les airs que dans l'eau. Loin mais pas assez: car voici sous nos yeux les traces de gaspillage de poissons pêchés, soit trop petits ou encore d'espèces peu appréciées, jetés par dessus bord en un flot de poissons morts s'étendant sur des centaines de mètres de long, appauvrissant la mer de ses ressources qui ne sont pas sans fin. Ils sont là, dans le brouillard, des bateaux du Canada ou d'ailleurs, prélevant les poissons des Bancs et des alentours pour les apporter sur les tables, partout dans le monde et sur les nôtres. Quel contrôle, respect et soin pouvons nous apporter aux océans pour éviter d'être sur la "corde raide".

Plus loin, soit autour de la pointe sud-est et au nord le long de la bordure du banc, nous avons articulé nos transects en dent de scie de façon plus étroite, afin de collecter des données sur la distribution et la dispersion des mammifères marins dans cette région d'autant plus qu'il y a peu d'informations sur le sujet dans cette zone.

Le temps était constant dans ces changements rapides et, alors qu'auparavant, la bordure sud nous offrait quelques cachalots, plein de groupes de dauphins communs et des myriades de puffins dans des eaux au teint tropical, lorsque nous avons tourné au niveau du Guy Canyon le 24 juillet, les observations ont soudainement changées. Le temps était notamment bien plus frais mais pas froid pour autant, les dauphins communs étaient remplacés par des dauphins à nez blanc, des baleines à bec et incluant 3 baleines à bec communes à 08:00. Le vent a pris et a formé une mer avec des pics d'écume venant du sud et nous nous sommes fait labourer, secouer et fracasser tout au long du Guy Canyon. Les grands puffins étaient encore assez présents, les puffins cendrés furent de moins en moins observés et remplacés par les puffins fuligineux, les fulmars et des labbes. Au travers des vagues, nous avons aperçu d'autres baleines à bec communes ainsi que d'autres baleines à bec non-identifiées.

La journée du 25 juillet était calme, dégagée et comme nous l'espèrions, une journée sans une visibilité infinie.

En nous dirigeant vers Carson Canyon plus au nord, nous trouvions à la fois des dauphins à nez blanc et des dauphins à flanc blanc de l'Atlantique ainsi qu'un nombre grandissant de rorquals à bosse.

En nous dirigeant toujours le long de la bordure est des Bancs, nous approchions du passage séparant les Grands Bancs du Bonnet Flamand. Nous avons eu une journée calme au niveau de Carson Canyon où une dizaine de rorquals à bosse se tenaient juste à l'extérieur du banc au niveau de ce canyon. L'un d'eux a décidé de s'approcher et de nager autour et sous Tripolina pendant à peu près une heure semblant se réjouir du ronronnement du moteur diesel passé au neutre. La baleine se frottait à la coque, sortait sa tête de l'eau (spy-hopping), pour nous observer. Les membres de l'équipage, biologistes et pêcheurs étaient captivés et se déplacaient de bord en bord au rythme de ce rorqual à bosse afin de le voir et de le photographier autant que faire se peut. Prière de regarder la vidéo jointe.

Le soir du 26 juillet, le calme de la journée laissa place à un vent fort de l'est et nous avons dû abandonner nos projets d'observation au niveau du passage du Bonnet Flamand et nous avons fait cap vers l'ouest en direction de Terre-Neuve poursuivis par des rafales. Le 27 juillet était une journée plus calme mais de nouveau chargée de brouillard et nous avons parcouru quelques transects à travers le Downing Basin, où nous avons croisé quelques groupes de dauphins à nez blanc, un rorqual à bosse et un ou deux petits rorquals au niveau de Virgin Rocks.

Le 28 juillet, était dégagé et nous avons continué vers Terre-Neuve en observant un rorqual commun, qui se dirigeait rapidement vers le sud-est, ainsi que des dauphins à flanc blanc de l'Atlantique et des dauphins à nez blanc par-ci, par-là. Nous avons aperçu Terre-Neuve à 14:00 et rejoint la côte au nord de Fermeuse, où Tripolina et son équipage se sont établis plus tard dans l'après-midi. Nous étions à environs 8 km au sud de Witless Bay, bien connue pour ses observations de colonies d'oiseaux et de baleines. Nous y avons trouvé de nombreux rorquals à bosse et avons collecté autant de photos que possible et nous nous sommes réjouis de passer la soirée à l'ombre des falaises impressionnantes de Terre-Neuve. Les baleines se trouvaient de 6 miles au large jusqu'à quelques mètres de la côte rocheuse. Cette nuit là, nous avons dérivé dans les eaux calmes proches des terres et avons eu un sommeil paisible. Nous nous sommes levés par ce matin éclatant du 29 juillet, entourés de rorquals à bosse et nous nous sommes dirigés lentement vers le nord tout en photo-identifiant des rorquals en bosse en chemin.

Marion a aperçu quelques orques après quelques heures, le groupe de 8 incluait 2 mâles adultes et deux jeunes de l'année, nous avons eu de bonnes observations et de bonnes données pour la photo-identification. Nous aurions aimé mettre le pneumatique à l'eau, cependant, dès le levé du soleil le vent avait commencé à prendre et forcir. Nous avons gardé le pas avec les orques en suivant leur déplacement vers le sud, longeant une île dont le pic rocheux était couvert d'oiseaux. Nous avons passé le cap sud-est de cette île avec les orques mais nous nous sommes confrontés au vent forcissant et aux vagues cassantes; nous avons quitté les orques qui se dirigeaient au sud, alors que nous devions retourner vers le nord.

Les rorquals à bosse continuaient à abonder et nous avons rejoint des bateaux d'expédition de whale-watching au niveau de Witless Bay afin de photo-identifier un grand groupe en pleine alimentation juste entre deux autres îles couvertes d'oiseaux. En tout début d'après-midi, nous faisions de nouveau route au nord et bien que nous rencontrions encore quelques rorquals à bosse en chemin, le nombre avait considérablement baissé depuis le buffet de Witless Bay. Les falaises de Terre-Neuve offraient des vues frappantes et absorbaient les vagues formées par le vent du sud-ouest, ayant alors atteint 25 noeuds, qui nous poussait vers la côte. À environ deux heures de St John's, nous avons été approché par un autre rorqual à bosse bien curieux qui à joué avec Tripolina pendant 30 à 40 minutes avec une facilité à rouler dans les vagues en s'approchant de nous ou en passant en dessous. Durant cet après-midi ensoleillée, nous avons croisé d'autres rorquals à bosse se dirigeant vers le sud alors que nous allions au nord. Une mer étincelante et roulante nous a escorté jusqu'à ce que nous nous trouvions à l'abri du vent, aux abords de St John's, où nous avons trouvé encore un rorqual à bosse et 3 communs juste en avant du port.

Et soudain, nous n'étions plus dans cette étendue sauvage de la pleine mer, mais dans les eaux protégées du port, entourés des constructions et du mouvement de St John's - un nouveau monde. Nous étions heureux de retrouver la terre et d'échapper au brouillard, au vent et aux vagues, nous étions fiers d'avoir accompli ce pour quoi nous étions là et sentions que nous avions accompli quelque chose de valeur. L'équipement a été rangé et emballé, ce qui appartenait à MPO y est retourné, alors que la ville, pleine de gens bruyants, offrait son propre contraste visuel et sonore.

Après quelques jours à St John's, nous avons pris un vol matinal pour Montréal, et pour certains il restait de la route à faire pour rejoindre la station à Mingan, avec en main, une pièce de puzzle supplémentaire concernant les rorquals bleus du nord ouest Atlantique.

Nous avons observé 4 rorquals bleus, 148 rorquals à bosse, 19 petits rorquals, 6 cachalots, 6 rorquals communs, 8 orques, 10-13 baleines à bec et quelques baleines non-identifiées, mais aussi, 5 marsouins communs, 422 dauphins communs, 365 dauphins à flanc blanc de l'Atlantique et 129 dauphins à nez blanc, sans mentionner un phoque du Groendland, un phoque barbu, et quelques requins, probablement des requins bleus. Nous avons parcouru 1438,318 m en 11 jours. Et pendant ce temps...ronflait le Blues des Bébittes dans la couchette.

Richard Sears